Po�tes - Jacques Pr�vert (1900 - 1977)

L'auteur

R�volte et libert�

L'�crivain qui incarne sans doute le mieux le Paris populaire de l'entre-deux-guerres est n� en banlieue, � Neuilly-sur-Seine, le 4 f�vrier 1900. C'est pourtant � Paris qu'il grandit et qu'il re�oit son �ducation, de la � communale � autant que de la rue. De son p�re, qui vit d'exp�dients et qui fr�quente assid�ment les th��tres, o� il a ses entr�es, il apprendra sans doute un certain sens de la d�brouillardise et l'amour de la f�erie. Quant � son go�t pour les inventaires d'objets h�t�roclites, il remonte peut-�tre au temps o� le jeune homme est employ� aux grands magasins du Bon March�. Si Pr�vert est toujours rest� discret sur sa vie, nul doute qu'il ait �t� tr�s li� � son fr�re cadet, Pierre (1906-1988). Celui-ci r�alisera des films, apr�s avoir �t� assistant r�alisateur, en particulier de Jean Renoir, et com�dien (d�s 1930, il tient un petit r�le dans l'�ge d'or, de Luis Bu�uel). En 1932, il tournera, sur un sc�nario de son fr�re, L'affaire est dans le sac, une pochade appr�ci�e des surr�alistes mais sans succ�s commercial. La Premi�re Guerre mondiale marque la fin de ce singulier apprentissage. Pr�vert est mobilis�, puis envoy� au Proche-Orient. Lorsqu'il revient � Paris, il se lie avec les surr�alistes, dont le mouvement est alors en pleine �bullition. Le vent de libert� � et m�me libertaire � qui souffle autour de ce groupe ne peut que le s�duire, et il participe � toutes ses exp�riences. De 1925 � 1928, il fr�quente le groupe de la rue du Ch�teau, o� il habite, voisin de Marcel Duhamel et du peintre Yves Tanguy. Mais comment pourrait-il s'accommoder d'un esprit malgr� tout de syst�me et de manifestes th�oriques? En profond d�saccord avec Andr� Breton, il quitte les surr�alistes en 1929, non sans un certain fracas. Mais il emporte avec lui les tr�sors de fantaisie qu'il a d�couverts avec eux et dont il tirera un usage personnel. Son premier texte marquant peut �tre dat� de 1931 : Tentative de description d'un d�ner de t�tes � Paris. Malgr� ces premi�res exp�riences litt�raires, c'est le cin�ma qui va d'abord populariser son nom. Ses dialogues �tincelants et son sens de l'intrigue font de lui le principal repr�sentant du � r�alisme po�tique �. Sc�nariste, il travaille avec Renoir et, surtout, avec Carn�, pour qui il �crit les chefs-d'�uvre du cin�ma fran�ais de l'entre-deux-guerres et de l'Occupation : Dr�le de drame, Quai des brumes, Le jour se l�ve, les Visiteurs du soir, les Enfants du paradis.

Le groupe Octobre Issue du groupe Pr�mices, cette compagnie de th��tre ouvrier fut fond�e en 1932 et resta active jusqu'� l'heure du Front populaire. Pr�vert fit partie du groupe Octobre, sur lequel soufflait un esprit de r�volte sans contrainte. Soutenu par la F�d�ration du th��tre ouvrier de France, le groupe se rendit en 1933 aux Olympiades internationales du th��tre ouvrier, � Moscou, o� il remporta le premier prix. La troupe � constitu�e, entre autres, de Sylvain Itkine, de Marcel Duhamel (le futur fondateur de la S�rie noire), de Jean-Paul Le Chanois (le futur cin�aste alors metteur en sc�ne et com�dien, tout comme Roger Blin), et des acteurs Jacques-Bernard Brunius, Raymond Bussi�res et Jean Dast� � joua un r�pertoire, en majeure partie �crit par Jacques Pr�vert, � l'humour f�roce, sur fond de satire sociale et politique. C'est ainsi que, en 1933, dans la Bataille de Fontenoy, la Premi�re Guerre mondiale est pr�sent�e comme un jeu cruel livr� � des spectateurs stupides qui exigent le sang de jeunes gens sacrifi�s � des id�aux absurdes. Sa sympathie pour la r�volution des � damn�s de la terre � ne va pas jusqu'� lui faire accepter la discipline d'un parti, et il a t�t fait de prendre ses distances avec l'Union sovi�tique
La popularit� sous toutes ses formes

Dans l'apr�s-guerre, apr�s les Portes de la nuit (1946), l'activit� de dialoguiste de Pr�vert se ralentit, m�me s'il collabore encore � quelques films, en particulier au dessin anim� de son ami Paul Grimault la Berg�re et le Ramoneur. Il s'occupe plut�t de rassembler ses po�mes, jusqu'alors dispers�s dans d'innombrables revues ou entre les mains d'amis. Les recueils se succ�dent : Paroles, Spectacle, la Pluie et le Beau Temps, Histoires, Fatras. Tous rencontrent un succ�s imm�diat, un succ�s v�ritablement populaire, qui d�passe largement les milieux litt�raires. Celui qu'on tient d�sormais pour un po�te a nou� de solides amiti�s : peintres, chanteurs, com�diens, photographes. Juliette Gr�co, Yves Montand ou Robert Doisneau incarnent ou fixent cette atmosph�re � populiste �, � existentialiste � ou � rive gauche �, qui contribue � l'univers du Paris d'alors ; Joseph Kosma met en musique de nombreux textes, qui deviennent des chansons c�l�bres, rest�es sur toutes les l�vres : les Feuilles mortes, Barbara, Je suis comme je suis.. Un grand nombre de textes divers, pr�faces, hommages, catalogues d'exposition, attendent encore d'�tre rassembl�s. Cependant, n'ob�issant toujours qu'� son caprice, Pr�vert continue d'accumuler de nombreux collages, fragments de photographies d�coup�s et coll�s qui font errer des animaux monstrueux dans des paysages de nulle part, ou font pousser des t�tes de femmes sur d'impossibles v�g�taux. Il ne cesse pas non plus de recevoir ses amis, d'accueillir les visiteurs, de promener dans les rues de Paris sa silhouette rigide et son visage de Pierrot triste, o� la cigarette semble se fondre au profil. Vers la fin de sa vie, il se retire en Normandie. La mort le surprend � Omonville-la-Petite, en 1977.
L'acrobate anarchiste

L'�uvre litt�raire de Pr�vert est contenue dans la vingtaine de volumes qu'il a publi�s apr�s la guerre et qui reprennent des po�mes parfois �crits bien longtemps avant leur parution. � vrai dire, c'est par commodit� qu'on appelle � po�mes � des textes qui ne rel�vent d'aucun genre fixe et qui empruntent aux cat�gories les plus vari�es : feuilletons, catalogues, f�eries, collages ou aphorismes. Beaucoup ressemblent � des fables et sous-entendent une morale � ou une contre-morale. Il y est fait un large usage de la citation, du coq-�-l'�ne et du calembour ; l'�num�ration y est �lev�e au rang d'un art. Attentif � ce que la r�alit� peut avoir de plus libre et de plus magique, Pr�vert ne peut manquer de d�busquer dans l'h�t�roclite une coh�rence sup�rieure, qui est au moins celle de sa propre fantaisie. Tendre pour les �tres simples, il peut se montrer f�roce avec tous ceux qui, � ses yeux, repr�sentent un ordre r�pressif. Il perp�tue ainsi un courant anarchisant et confond en une seule ex�cration toutes ses � b�tes noires � : financiers, magistrats, militaires, eccl�siastiques ou professeurs. L'un des derniers recueils s'intitule Fatras. On ne saurait �tre plus juste quant � la lettre et plus injuste quant � l'esprit, car peu d'auteurs sont rest�s aussi sinc�res, aussi fid�les � eux-m�mes. Si l'immense popularit� de Pr�vert est gagn�e d�s son premier recueil, c'est qu'il s'est toujours exprim� avec libert� et naturel. Les formes les plus surprenantes sont d�nu�es de tout herm�tisme, de toute th�orie et de toute gratuit�. Acrobate et jongleur, Jacques Pr�vert m�conna�t l'artifice. En d�non�ant ce qu'il m�prise, il pr�te sa voix � tous ceux qui la reconnaissent comme la leur, qui retrouvent leur langage simple ou leur petite musique au d�tour d'un vers, d'une r�plique ou d'une ritournelle. L� encore, les textes ont trouv� un �cho. Ce sont eux qui, mis en musique par Joseph Kosma, sont devenus des chansons. Pour Pr�vert, la chanson n'est pas un mode d'expression en soi, mais un moyen de diffusion. Il n'est pas facile d'�tre virtuose dans la simplicit�. Grave et farceur, surprenant et familier, Pr�vert, malgr� le formidable �cart qu'il impose au langage, a su rester proche de tous ses lecteurs. S'il est po�te, c'est moins pour avoir cr�� un style ou un univers que pour avoir r�v�l� un �tat d'esprit � la fois particulier et universel puisque, dans une telle spontan�it�, chacun est po�te.
Cin�ma et po�sie

� Le cin�ma et la po�sie, c'est quelquefois la m�me chose! � r�pond Pr�vert � un journaliste qui l'interroge sur sa double activit� de po�te et de sc�nariste. De fait, on retrouve dans les dialogues tout le charme des po�mes : humour, fantaisie, lyrisme, mais aussi sens du destin et m�pris des valeurs mat�rialistes et moralistes. Les pauvres gens, m�me s'ils appartiennent � � la canaille �, sont souvent de braves gens. Le malheur serait plut�t incarn� par ce bourgeois des Enfants du paradis qui accuse � d'ailleurs � tort � Garance de lui avoir vol� sa montre en or. Une montre, triste instrument de mesure, mis�rable signe d'une m�diocre r�ussite, � un peu d'or avec des ressorts dedans �. D�s le premier film de Pr�vert, L'affaire est dans le sac, les gags po�tiques sont au service d'une critique sociale. Quai des brumes ou Le jour se l�ve rel�vent d'une veine plus tragique, jug�e avant-guerre � d�moralisante � par les autorit�s, � pessimiste � par les producteurs. Le destin prend souvent l'apparence d'un personnage marginal et inqui�tant : un clochard, un peintre, un colporteur. L'humour, d�licat ou brillant, peut aussi devenir amer et grin�ant. En ce sens, l'�uvre cin�matographique de Pr�vert est comme une image symbolique de la France de l'�poque, riche d'espoirs lors du Front populaire, et pleine d'inqui�tude � la veille de la mobilisation. Mais, que le ton en soit grave ou l�ger, tous ses films baignent dans un climat onirique ou m�me, comme dans les Visiteurs du soir, franchement magique. Dans cet univers complexe, c'est pourtant � le malheur avec une montre en or qui gagne � � presque � tous les coups �. Bien que Pr�vert ait travaill� avec de nombreux r�alisateurs, sa collaboration avec Marcel Carn� marque le sommet de ce qu'on a appel� le � r�alisme po�tique �, qui est sans doute le grand moment du cin�ma fran�ais, et qui trouve avec les Enfants du paradis sa plus parfaite expression. Les films �crits apr�s la guerre n'ont pas la port�e des pr�c�dents, soit que la veine de Pr�vert se soit �puis�e, soit que les temps aient chang�, soit qu'un charme ait �t� rompu dans l'�troite collaboration qu'exige au cin�ma le travail d'�quipe. Mais un seul de ses sc�narios d'avant-guerre aurait suffi pour assurer � Pr�vert une place capitale � la fronti�re du cin�ma et de la litt�rature.
Regard sur son oeuvre

Pr�vert fait �clater le caract�re conventionnel du discours par le jeu des mots. Sa po�sie est constamment faite de jeux sur le langage (calembours, inventions burlesques, n�ologismes, lapsus volontaires�) dont le po�te tire des effets comiques inattendus (un humour parfois noir), des significations doubles ou encore des images insolites.

Ses po�mes fourmillent de jeux de sons, de combinaisons pour l'oreille (allit�rations, rimes et rythmes vari�s) qui paraissent faciles, mais dont Pr�vert fait un usage savant. Enfin, il ne faut pas n�gliger, comme l'a fait remarquer Dani�le Gasiglia-Laster dans son introduction aux �uvres Compl�tes de Pr�vert dans la Biblioth�que de la Pl�iade, les apports du surr�alisme dont on retrouve les traces : inventaires, �num�rations h�t�roclites d'objets et d'individus, additions de substantifs ou d'adjectifs, etc. Il est friand des proc�d�s de l'image, de la m�taphore et de la personnification (animal, objet, humain).

Pr�vert s'en prend aux st�r�otypes du langage, � tout ce qui est fig�, impos� : � Les expressions st�r�otyp�es, les citations c�l�bres, les proverbes, permettent toutes les mystifications possibles. Quand certains �tres en oppriment d'autres, ils tentent en effet de leur faire croire que ce qui se dit ou s'�crit refl�te l'ordre naturel des choses : "A tout seigneur tout honneur", "Qui aime bien ch�tie bien", etc. Aussi Pr�vert va-t-il d�tourner de leur sens ces "messages du mensonge", les subvertir au profit de ceux qu'ils desservaient : "Cent fois sur le m�tier remettez votre ouvrage � demain, si on ne vous paie pas le salaire d'aujourd'hui" [�], ou bien inventera � son tour des aphorismes qui insinueront d'autres rapports de force et surtout une autre conception de la soci�t� : "Quand les �boueurs font gr�ve, les orduriers sont indign�s" [�]. Quand il utilise des clich�s, non pas pour les mettre dans la bouche de personnages sans consistance, mais pour son propre compte, il leur fait subir une cure de jouvence, le plus souvent en les prenant � leur premier degr� de signification. Ainsi, le monde de "Lanterne magique de Picasso" est-il "beau comme tout", comme la totalit� de l'univers et de ses parcelles. Bousculer les automatismes se r�v�le en d�finitive vital, car � trop se contenter d'utiliser le langage tel qu'il nous est donn�, avec les m�mes immuables associations, on risque de p�trifier les �tres et les choses.� explique Dani�le Gasiglia-Laster (Introduction au tome 1 des �uvres compl�tes de Pr�vert, Biblioth�que de la Pl�iade, Gallimard).
Ses po�mes