Ni un langoureux, un pleurard (Musset), un « femmelin » (Proudhon), en poésie, ni, en politique, un rêveur égaré hors de son domaine et promis aux fatales bévues de l'innocent, c'est un mâle, au contraire.
Lamartine, compromis, certes, en littérature, par un vocabulaire désuet, mais un « voyant », dira Rimbaud, et, dans les affaires civiques, un de ces très grands qui, les pieds sur terre, savent en même temps regarder loin et apprécier avec exactitude la quantité d'idéal que l'on doit pouvoir, à telle date, insérer dans le réel ; un de ceux qui, « politiques » pour de bon, restent « mystiques ».
Composé inusuel, haï des médiocres ; on lui cassera les reins, à ce gêneur !
Haute figure, Lamartine. Un méconnu, un homme qui n'aura pas cessé de se poser le problème des problèmes : le sens de la vie, le secret du monde.
Il a opté, il a parié, quant à lui, dans le noir, résolu à faire comme si Dieu existait, à travailler comme si l'effort humain servait à quelque chose.
Noblesse oblige:
Alphonse de Lamartine naît à Mâcon.
Il est l'aîné de six enfants, le fils d'un cadet de famille noble, pas de frère, rien que des sœurs ; à lui, par conséquent, tous les châteaux et toutes les terres de la famille.
Il vit une enfance modeste à Mâcon même, puis à Milly : vie familiale proche de celle des villageois qu'il évoquera dans ses Mémoires inédits (1870).
Il fréquente jusqu'en 1800 l'école paroissiale de Bussière, où il reçoit les leçons de l'abbé Dumont (modèle de Jocelyn), puis après deux ans d'internat dans l'institution Puppier à Lyon, que ne peut supporter ce caractère rebelle (il s'évade en décembre 1802, au grand dam de sa mère), il est confié au collège de Belley : il y restera jusqu'en 1808, goûtant les méthodes douces des Pères de la Foi.
Sa sensibilité, son imagination, son sentiment de la nature et de la religion s'y développeront et lui inspireront ses premiers vers, en même temps qu'il y formera trois amitiés indestructibles (Bienassis, Vignet, Virieu).
Tenu à l'écart de toute carrière par les convictions légitimistes de sa famille, il mène de 1808 à 1819 une existence oisive, tantôt dissipée et mécréante, tantôt rêveuse et mélancolique.
De vagues études, des lectures abondantes et désordonnées (Homère, la Bible, Parny, Chateaubriand, Mme de Staël, Alfieri, Rousseau, Werther), des visites et correspondances avec ses trois amis, des rêveries qui aiguisent ses ambitions littéraires et se traduisent par des vers et des projets – un « tout petit livre d'élégies » et une tragédie dont il attend la gloire.
Pour l'éloigner d'un premier amour (Henriette Pommier, « Terpsichore moderne » et muse romantique), sa famille le fait recevoir à l'académie de Mâcon, où il prononce un Discours sur l'étude des langues étrangères, puis arrange un voyage en Italie (juillet 1811-mai 1812) qui lui laissera d'inoubliables impressions, ainsi que le souvenir d'un amour ardent qu'aurait eu pour lui une jeune corailleuse napolitaine (idéalisée dans diverses œuvres et surtout dans Graziella, 1849).
Lorsqu'il a vingt ans, il souhaite entrer dans la diplomatie ou, comme avait fait son père, dans l'armée ; mais Napoléon est sur le trône, et les Lamartine sont des royalistes intransigeants.
Au retour du roi, il est admis dans les gardes du corps, s'abstient, en 1815, de suivre Louis XVIII à Gand, se réfugie en Suisse, puis en Savoie, reprend son service après Waterloo, mais démissionne bientôt et cherche un autre emploi.
Des premières Méditations à l'Académie française:
Rentré à Milly, il commence Saül, tragédie biblique, ainsi qu'un grand poème épique sur Clovis.
La Restauration lui apportera-t-elle enfin la possibilité de fixer sa vie ?
Engagé comme garde du corps en juillet 1814, il démissionne en novembre 1815.
C'est en octobre 1816 qu'il rencontre, aux eaux d'Aix-les-Bains, celle qu'il immortalisera sous le nom d'Elvire, Julie Bouchaud des Hérettes, mariée à l'âge de 20 ans au célèbre physicien Charles, alors sexagénaire.
Lamartine et Julie – créole de santé fragile – vécurent dans ce décor rousseauiste quelques semaines d'exaltation et de bonheur.
Ils devaient se retrouver durant l'été 1817 à Aix ; Lamartine l'attendra en vain : le 29 août, il commence à écrire le Lac, puis en septembre compose l'Immortalité, « Première Méditation ».
Mais Julie meurt le 18 décembre. À son désespoir, Lamartine ne peut opposer une foi comparable à celle d'Elvire (le Crucifix) ; il s'enferme dans la solitude et retrouve dans toute son ampleur le problème de la foi.
En attendant que se dénoue cette crise morale, il se jette dans le travail, achève Saül, compose l'Ode au malheur (« le Désespoir » des Méditations), la Foi et l'Isolement.
Alors que Saül, dont il attendait beaucoup, est refusé par Talma, trois des Méditations, habilement présentées par Virieu et imprimées par le duc de Rohan, lui valent un succès qu'il n'escomptait pas et qui le décide à en publier un recueil.
En « pèlerinage » à Aix, il rencontre Elisa Birch, à laquelle il se fiance : en décembre 1819, il cherche à Paris à la fois un éditeur et un poste diplomatique qui permette son mariage.
En mars 1820, à l'âge de 30 ans, il est nommé attaché d'ambassade à Naples, mais s'impatiente devant la lenteur de son avancement administratif, les Méditations poétiques sont publiées (24 pièces) et, le 6 juin, il épouse une Anglaise catholique Elisa Birch. C'est la gloire : les éditions des Méditations se succèdent et, en décembre 1822, on en est déjà à la 9ème.
La période 1820-1830, ponctuée de nombreux voyages et marquée par la naissance de ses enfants (Alphonse, qui mourra prématurément à l'âge de vingt mois, et Julia à dix ans et demi.), est particulièrement féconde : la Mort de Socrate (1823), les Nouvelles Méditations poétiques (1823), le Dernier Chant du pèlerinage d'Harold (1825, inspiré par la mort de Byron), le Chant du sacre (1825), les Psaumes modernes, qui deviendront les Harmonies poétiques et religieuses en 1830, année de sa réception à l'Académie française.
Un seigneur qui se divertit à écrire:
Les sévérités sont usuelles sur Lamartine écrivain. Musset l'appelait « pleurard à nacelle » (allusion au Lac) et Flaubert le tenait pour le principal responsable de ce qu'il appelait « les embêtements bleuâtres du lyrisme poitrinaire ».
Encore Flaubert, 1836 : « Que c'est mauvais, Jocelyn ! [...] détestable poésie, inane [...] ; ces phrases-là n'ont ni muscles ni sang. »
Gustave Planche y découvrait des « buissons de solécismes », et Veuillot, féroce et jubilant, affirme, à propos de l'Épître à Alphonse Karr, que « la rime, le traînant où elle veut, l'accroche dans des asservissements qui feraient rougir un facteur de bouts rimés ».
De fait, Lamartine poète s'accorde un excès de « licences » : impropriétés scandaleuses, inversions-contorsions, fautes de grammaire exprès commises pour que le vers ait son compte de syllabes.
Sainte-Beuve prenait un air pincé : Le génie ne suffit pas, disait-il, « il faut tout de même qu'un soin quelconque aide à l'exécution » ; et Alexandre Vinet, plus indulgent, déplore « ce nonchaloir un peu superbe » auquel il lui semble que l'écrivain, chez Lamartine, se complaît un peu trop.
Oui, Lamartine, comme le dira très bien Rimbaud, est « étranglé par la forme vieille » ; il a fait ses classes, en littérature, auprès des petits poètes du XVIIIème siècle, Voltaire y compris.
Il vit sur leur rhétorique et leur vocabulaire. Les douze ans seulement qu'il a de plus que Victor Hugo n'en font pas moins de lui, par rapport à son jeune rival, un homme du passé.
Son dictionnaire est mince, sa langue poétique est de routine. Les mots convenus ne le gênent pas. Mais il est bien certain, également, qu'il ne se donne pas beaucoup de mal, la plume à la main, ou, si l'on préfère, la lyre au doigts.
Il se contente de l'à-peu-près. C'est un « honnête homme », un seigneur, qui se divertit à écrire, qui chante ou fredonne, parce qu'il en a envie ; il n'est pas un professionnel, pour rien au monde un professionnel.
Un gêneur pour les gens de bien:
Que le vrai problème posé en 1830 est d'ordre social, et non pas politique seulement, Lamartine l'a vu, l'un des premiers.
Il le dira dès le début de son action : « la question des prolétaires » est la grande question du XIXème siècle.
Et tout son effort, dans un premier temps, sera de convaincre les gens de sa classe, les possédants : La sagesse, le bon sens, leur salut même réclament, de leur part, une refonte des structures sociales pour arracher à leur condition inhumaine la multitude des travailleurs.
La « compression », s'ils ne l'atténuent, aboutira à l'« explosion ».
Le révolutionnaire:
La révolution de juillet 1830, sans l'éloigner complètement de la littérature, le tourne pour vingt ans vers la politique.
Elle lui fournit le prétexte de quitter, par apparente fidélité légitimiste, une carrière qui l'ennuie, et il se présente à la députation, tout en songeant en même temps à un vaste poème, une « épopée de l'âme » dont il a conçu, depuis 1821, le projet.
En juillet 1831, il échoue à la députation et est attaqué dans la Némésis par Barthélemy, qui l'accuse d'utiliser sa renommée littéraire à des fins personnelles, sans rapport avec les convictions libérales qu'il affiche : sa Réponse à Némésis (1831) développe l'idée qu'il se fait de lui-même, du poète et de la poésie.
Il publie encore la Politique rationnelle et l'Ode sur les révolutions (1831) avant de partir pour un voyage en Orient.
Déçu par la Grèce, il parcourt avec ferveur la Palestine, la Galilée, mais une douloureuse épreuve l'attend : Sa fille Julia meurt à Beyrouth.
Il lui consacrera l'émouvant poème Gethsémani et ne fera paraître ses Souvenirs, impressions, pensées et paysages pendant un voyage en Orient qu'en 1835.
Élu député de Bergues (Nord) pendant son absence, il rentre en France : la publication de Jocelyn (1836), de la Chute d'un ange (1838) et des Recueillements poétiques (1839) ne l'empêchera nullement de participer aux grands débats d'idées et aux discussions parlementaires (Discours sur le retour des cendres de l'Empereur, 1840 ; Sur les fortifications de Paris, 1841 ; Marseillaise de la paix, 1840).
Le 28 décembre 1841, Lamartine tente une expérience, recourt à un test.
Il se présente à la présidence de la Chambre (un président de la Chambre n'est pas un homme du gouvernement) pour dénombrer ceux qui lui font confiance.
Sur 309 votants, il ne réunit que 64 voix, contre Sauzet, candidat conservateur également, mais rassurant, partisan de l'immobilisme, et qui n'importune personne en jouant les Cassandre.
Ajoutons que le député Lamartine s'est permis, sur les « concentrations économiques », c'est-à-dire ce qu'on appelle aujourd'hui les trusts, dans son discours du 9 mai 1838, des propos malséants.
Alors il renverse son jeu. Les possédants ne veulent pas modifier eux-mêmes leur conduite suicidaire ? Très bien ; on les y contraindra ; et, allant beaucoup plus loin que l'opposition « dynastique » et, pour rire, d'un Odilon Barrot, Lamartine passe à l'extrême gauche et aux idées républicaines.
Il est bien déterminé à rester en marge du régime, à refuser tout portefeuille et toute ambassade (Guizot, qui se méprend sur lui, lui offre l'ambassade à Londres, pour l'éloigner) ; il veut être « l'homme de réserve » pour l'heure du drame, inévitable.
Il empêchera l'anarchie, qui serait mortelle, et contiendra les « enragés » (il n'a jamais étudié le socialisme et condamne, sans le connaître, le programme de Louis Blanc) ; mais il veut la république, le suffrage universel et des lois qui protégeront la collectivité .
Il travaille surtout à l'Histoire des Girondins (1847), qui devait à la fois résoudre ses embarras financiers et donner des leçons de modération et de vertu à un peuple dont l'agitation devait amener la chute de la monarchie de Juillet : en juillet 1847, au banquet qui célèbre à Mâcon le succès de son ouvrage, Lamartine annonce « la révolution du mépris ».
Le 24 février 1848, le roi fuit ; Lamartine, membre du gouvernement provisoire, proclame la république à l'Hôtel de Ville et prend la parole à la Chambre.
Le lendemain, dans une harangue qui soulève l'enthousiasme, il amène les émeutiers à renoncer au drapeau rouge en faveur du drapeau tricolore.
Ministre des Affaires étrangères en mars, il prononce le Manifeste aux puissances. Aux élections d'avril, il est élu par 10 départements. Mais sa politique ambiguë à la veille des journées de Juin lui vaut de n'obtenir le 10 décembre, à l'élection présidentielle, que quelques milliers de voix.
Son oeuvre
Les « travaux forcés littéraires »:
Il reste à la Chambre jusqu'au coup d'État de 1851, mais sa carrière politique est terminée.
Il est criblé de dettes et, pendant les vingt ans qui lui restent à vivre, il se contraindra aux « travaux forcés littéraires » : Histoire de la révolution de 48, les Confidences, Raphaël, édition des Œuvres choisies de M. de Lamartine, où paraissent les Commentaires et les Troisièmes Méditations (1849).
Il fait jouer Toussaint Louverture au théâtre de la Porte-Saint-Martin et part une seconde fois en Orient, où le Sultan lui a offert un domaine et une pension. Après les Nouvelles Confidences, Geneviève, histoire d'une servante, le Tailleur de pierre de Saint-Point, récit villageois, l'Histoire de la Restauration (1851), il donne les Visions (1853), fragments d'un grand poème épique, des essais historiques (Histoire des Constituants, 1854 ; Histoire de la Turquie, 1854-1855 ; Histoire de la Russie, 1855) et surtout le Cours familier de littérature (1856-1869), où figurent encore quelques belles pièces (la Vigne et la Maison, 15ème entretien, 1857 ; révélation du poète Mistral, 40ème entretien, 1859).
Entre 1860 et 1866, il publie ses Œuvres complètes en 41 volumes, mais il doit vendre Milly.
Mme de Lamartine meurt en 1863 et le poète reste seul avec sa nièce et fille adoptive, Valentine de Cessiat, à qui bien des œuvres de sa mélancolique vieillesse sont dédiées.
En 1867, le Corps législatif lui vote, à titre de récompense nationale, une pension de 25 000 francs.
Après sa mort paraîtront, outre les Mémoires inédits (1870) et le Manuscrit de ma mère (1871), des Poésies inédites (1873) et six volumes de Correspondance (1873-1875).
Les Méditations poétiques:
Le recueil de 1820, que suivront, en 1823, les Nouvelles Méditations et, en 1849, les Troisièmes Méditations, réunit des pièces disparates (pièces de circonstance, méditations calmes, jaillissement du désespoir de la passion, exercice religieux...) et de formes variées : Longueur inégale (de 24 vers pour le Chrétien mourant à 286 pour l'Homme), strophes et mètres divers aussi bien d'un poème à l'autre qu'à l'intérieur d'une même pièce.
Interrogations et exclamations, nombreuses, y reflètent la fébrilité de l'inspiration. D'abondantes figures et allusions mythologiques témoignent d'un goût pour le « beau style » classique. Souvent, la description initiale d'un paysage en accord avec l'état d'âme du poète se poursuit par une effusion lyrique. Mais le travail d'écriture a constamment visé à gommer l'anecdote personnelle pour donner aux poèmes une valeur universelle. Trois thèmes essentiels reflètent les déchirements et les contradictions de l'âme lamartinienne et font l'unité du recueil : la nature, l'amour, l'interrogation sur la destinée humaine et la foi. La nature, ressentie tour à tour comme un refuge (le Vallon), un recours (le Lac), une confidente, une source d'apaisement (l'Automne), le lieu privilégié de la communion avec Dieu (la Prière), est habitée par l'image de l'aimée, figure mythique nommée Elvire en laquelle il transfigure les femmes qui l'ont ému (Graziella, puis Julie Charles). Oscillant entre un sensualisme ardent et une sublimation évanescente, la rêverie d'amour est épicurienne dans le Lac, désespérée dans l'Isolement ou dans l'Homme ; elle s'associe à l'amour de Dieu dans l'Immortalité, se spiritualise dans Souvenir et s'épanouit d'autant mieux que la mort ou l'absence permettent une transfiguration de l'objet aimé.
Ces oscillations de l'amour reflètent le déchirement qu'ouvre en lui l'interrogation sur le sens de la destinée humaine : Lamartine est assailli par l'absurdité de la condition humaine (l'Homme) et par la souffrance qui semble être le lot de l'artiste (la Gloire) ; il cherche impatiemment à en percer le mystère, inquiet du temps qui passe et qui broie tout (le Lac, le Désespoir) ; l'accablement, la lassitude de vivre s'abattent souvent sur lui (le Vallon) ; ce Dieu, qu'il ne va pas jusqu'à renier, lui semble cruellement muet et il se laisse aller parfois au blasphème. Cependant, ses élans reviennent toujours à Dieu. Sa foi hésite entre un déisme que le catholicisme n'a point effacé (l'Homme), des élévations néoplatoniciennes ou néopythagoriciennes (le Vallon) ou encore un mysticisme dont la sensualité diffuse (la Prière) nous intéresse plus que ses efforts bien-pensants (Ode, X). En somme, dans les Méditations, Lamartine désire la foi plus qu'il ne la détient.
Les Harmonies poétiques et religieuses: (1830).
Ce recueil poétique rassemble une cinquantaine de pièces réparties en 4 livres. Quatre étapes principales rythment l'élaboration de cette œuvre : de février 1826 à février 1827, Lamartine exhale l'élan vers Dieu que suscitent en lui la beauté et la sérénité des paysages toscans par des chants dont il a voulu faire de véritables « Psaumes modernes ».
Après un an d'interruption, le poète, sur le point de quitter Florence (1828) et ses églises dont « les voûtes chantent d'elles-mêmes », revient à ses « Harmonies sacrées » et élabore le long chant qui, plus tard fragmenté, donnera les quatre « Grandes Harmonies ». Mais dès son retour en France, assailli par des soucis matériels, Lamartine perd la sérénité dont il avait joui en Italie : ses nouveaux poèmes témoignent de cet état d'âme troublé mais aussi de l'influence de Lamennais et de Manzoni (août 1828-28 juin 1829). Enfin, à la suite d'un voyage à Paris, où il a repris contact avec les cercles littéraires (Mme Récamier, Chateaubriand, Hugo), sa poésie achève d'évoluer vers des formes plus souples et des réalités plus simples. Octobre 1829 clôt cette période d'inspiration fervente : en proie, malgré son élection à l'Académie française, à une crise morale due à l'approche de la quarantaine, au pressentiment d'une révolution imminente et à la mort de sa mère, il écrit Job, poème de l'inquiétude, du regret et du doute, qui sera finalement intitulé Novissima Verba ou Mon âme est triste jusqu'à la mort. Lamartine destinait ses vers à « un petit nombre » : « des âmes méditatives » et « des cœurs brisés par la douleur ». Or ils suscitèrent à leur publication une louange quasi unanime : entre deux révolutions, le siècle n'était pas encore tout acquis à l'idée de progrès et Dieu n'était pas encore tout à fait mort.
Jocelyn (1836):
« Poème-journal » en 8 000 vers, c'est l'un des deux seuls « fragments » (avec la Chute d'un ange, 1838) de la monumentale épopée, les Visions, que Lamartine rêvait d'écrire depuis 1821.
Ce Paul et Virginie alpestre fut un foudroyant succès populaire. Le personnage qui donne son nom à ce roman rimé est inspiré de l'abbé Dumont, maître à Milly du jeune Lamartine dont il reçoit jusqu'à sa mort (1832) la bienveillante affection. Cette idylle, nourrie des fantômes de sa propre jeunesse et dont Lamartine voulait faire une « épopée de l'homme intérieur », contient de beaux vers isolés, exprimant les tumultueuses ferveurs du poète (« Tous au lieu d'un seul être et cet être dans tous ») comme la poésie familière de la nature (« Au murmure du lac flottant à petit pli »). Cependant, cet épisode du grand œuvre fondé sur l'idée du sacrifice et qui se veut l'apothéose de la résignation semble aujourd'hui quelque peu désuet.
La Chute d'un ange(1838):
Conçu initialement comme fragment d'une épopée humanitaire dont Jocelyn devait être l'ultime épisode, il conte en 10 000 vers les aventures amoureuses et tragiques de l'ange Cédar et de la mortelle Daïdha : le verset de la Genèse (VI, 2), amplifié par l'apport des philosophies orientales, devient le support d'une poésie gnomique qui transpose la veine épique en catéchisme.
L'Histoire des Girondins (1847):
Cette évocation en 8 volumes de la « grande révolution », qui connut un succès foudroyant, comporte cinq sections, subdivisées en plusieurs chapitres, dont les quatre premières sont respectivement consacrées à Mirabeau, à Robespierre, à Mme Roland et à Vergniaud ; la dernière évoque le Jugement et le supplice des Girondins. Au-delà de l'opération de librairie imposée par ses dettes criardes, Lamartine, adepte du suffrage universel, voulait que sa voix portât au-delà de l'enceinte du Parlement et proposait aux masses l'exemple qu'étaient les Girondins – ces révolutionnaires modérés – pourvu qu'on évitât leurs erreurs. Il concevait cette Histoire comme source d'un enseignement moral « ad usum populi » et se faisait un devoir de l'écrire « pour que la prochaine révolution soit pure des excès de la première ». En réalité, l'Histoire vaut plutôt par ses qualités lyriques (larges évocations de paysages parfaitement inutiles à l'action, portraits animés, voire émouvants, élans romancés de la narration) et la beauté de sa prose (alternance de périodes oratoires qui honorent le rythme ternaire et de formules bien frappées).
Les révolutionnaires idéaux qu'il met en scène ne sont au fond que trois projections de l'image que Lamartine a de lui-même : il fut ce Mirabeau, aristocrate venu à la révolution ; il est ce Vergniaud, orateur parlementaire ; il espère être, en religion, ce Robespierre réformateur. Dans sa vision apologétique et romantique, Lamartine sacrifie au culte du héros : l'histoire est l'œuvre de génies solitaires. Ses bonnes intentions ne masquent pas son paternalisme innocent, que résume cette formule satisfaite inspirée par le succès : « C'est surtout le peuple qui m'aime et m'achète », assentiment que ne confirma pas le mouvement populaire de juin 1848.
Graziella:
Ce récit publié isolément en 1852 constitue à l'origine un épisode romanesque des Confidences. Lamartine y transpose un amour de jeunesse qu'il aurait conçu pour une jeune et pauvre Napolitaine au cours de son premier voyage en Italie, en 1811, et chez qui il aurait éveillé la passion en lui lisant Paul et Virginie. L'aventure, rêvée ou réelle, évoquée plusieurs fois par Lamartine, semble avoir été déterminante en ce sens qu'elle se cristallisera progressivement dans le souvenir du poète comme l'image même de l'amour pur ou plutôt du rêve d'amour qui caractérise l'affectivité lamartinienne.
Regards sur son oeuvre:
Lamartine a réinventé la poésie, par une formidable opération de réduction : Du langage poétique à la poésie lyrique, et du lyrisme au domaine le plus intime du moi.
En dehors de toute esthétique (Lamartine n'évoque presque jamais la recherche du Beau) et de toute rhétorique convenue, il fait de l'acte poétique une « méditation », la poésie n'étant pas un ornement mais une des deux facultés humaines (« la prose et la poésie se sont partagé la langue comme elles se sont partagé la création »).
S'il participe de la figure du poète-mage, Lamartine annonce ainsi la poésie qui « doit être faite par tous », comme « langue par excellence » dévoilant la vie intérieure. Le poème n'est que la trace d'un geste qui est la poésie.
À l'origine de la modernité poétique française, Lamartine a placé un « miroir magique », qui emprisonne les images et fige les sonorités en échos, « le Lac » – site inaugural que Rimbaud voudra abolir en s'abîmant dans ses profondeurs.